Eure-et-Loir 1900 : Une belle époque ? – Une agriculture en mutation

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À la Belle Époque, l’industrie n’est pas perçue comme un vecteur de développement ni d’enrichissement par la majorité des Français. Le monde rural et son économie restent donc prépondérants (56 % de la population active en 1910-1911).

En Eure-et-Loir, en 1911, la population active agricole représente plus de 54 % de la population. Si sur le temps long (1851-1911) et à l’échelle nationale cette population a tendance à baisser, il est nécessaire de relativiser ce fait pour les départements céréaliers tels que l’Eure-et-Loir. En effet, la baisse des salariés agricoles est particulièrement sensible entre 1851 et 1872 dans les cantons de Janville (- 5,5 points) et de Voves (- 4,8 points).

 Elle l’est beaucoup moins entre 1881 et 1911, respectivement -0,88 et -0,94 points. La décennie 1901-1911, qui voit aussi les chefs d’exploitation atteindre près d’un tiers de la population active agricole, correspond aussi à un changement de structure du salariat. Comme le montrent les chiffres du canton de Voves, si les journaliers (apport saisonnier de main d’œuvre) diminuent, les domestiques (présents à l’année) augmentent. Ce phénomène peut être mis en relation avec un certain renforcement de la propriété perçu à l’échelle nationale qui pourrait alors s’accompagner d’un plus fort attachement du personnel et traduire une certaine stabilité économique des campagnes. Selon les agronomes de l’époque, Charles-Victor Garola en tête, le flux de main d’œuvre est positif en Eure-et-Loir où la culture est qualifiée, dès 1912, d’industrielle. Les résultats économiques de cet apport, sans lequel l’exploitation de grandes surfaces serait impossible, sont jugés « excellents ».
En effet, l’Eure-et-Loir est déjà un département d’agriculture extensive. En 1892, si les exploitations parcellaires sont majoritaires, elles ne représentent que 21,1 % de la surface totale cultivée, tandis que près de la moitié des terres relèvent d’exploitations de plus de 50 ha : ainsi, dans le canton d’Orgères, 5 % des fermes dépassent 100 ha et exploitent près de 44 % des terres. Ces exploitations cultivent majoritairement du blé et de l’avoine, et leur productivité augmente tandis que leurs prix sont relativement stables.

L’Eure-et-Loir traverse la crise agricole

Le département connaît la crise agricole des années 1880-1890 avec la concurrence des produits étrangers, insuffisamment taxés en France, provoquant le mécontentement des cultivateurs. Ces derniers revendiquent l’instauration de droits de douane qui aboutissent à la mise en place des tarifs Méline en 1892, mettant fin au libre-échange au profit d’un régime protectionniste. Jusqu’en 1914, la production agricole augmente, les terres incultes reculent et l’élevage connaît un second souffle avec l’introduction des prairies et des plantes fourragères dans les assolements, ainsi que par les encouragements des agronomes qui préconisent l’usage du fumier dans l’enrichissement des sols. En Eure-et-Loir, la seule crise agricole réellement tangible est celle de la vigne, suite à l’apparition du phylloxéra en 1876, qui ne représente plus qu’une infime partie des terres cultivées en 1914.

A l’origine du progrès agricole : le lien étroit entre syndicalisme et agronomie

En juillet 1886, le syndicat agricole de l’arrondissement de Chartres est créé par le sénateur Louis-Charles Vinet, l’agriculteur Charles Égasse et surtout l’agronome Charles-Victor Garola. Outre l’obtention de matières premières (engrais, semences) de meilleure qualité au meilleur prix, son objectif était l’éducation de l’agriculteur à travers la diffusion de publications spécialisées comme la Défense agricole, fondée en 1903. Il encouragea l’enseignement primaire de l’agriculture par des concours et des prix d’excellence, développa un enseignement pratique dans des écoles dotées de fermes modèles, qui firent rapidement office d’écoles d’agriculture comme celle annexée au lycée de Chartres en 1908. Pour guider les exploitants, C.-V. Garola se lança en 1891 dans un travail titanesque : les cartes agronomiques communales, croisant données cadastrales, géologiques et caractéristiques physico-chimiques des sols avec les éléments nécessaires pour les amender. Les syndicats permirent enfin aux agriculteurs d’accéder au crédit avec le Crédit mutuel agricole de Chartres en 1896 et la Caisse de crédit agricole de la Beauce et du Perche en 1899.